Aujourd’hui, pour lutter contre les ilots de chaleur urbains (ICU), les aménageurs et les politiques publiques disposent d’une information qualitative pour élaborer des recommandations de plantations sans pouvoir évaluer leur impact réel
Les références bibliographiques sur les services rendus par les arbres en milieu urbain sont nombreuses. Cependant, peu de publications rapportent des données chiffrées et une quantification objective des effets directement imputables à la présence d’arbres dans l’atténuation thermique en ville. Les principales études consacrées à la mise en évidence de ces effets sont rassemblées dans un article de synthèse d’Emmanuel Boutefeu (2011) et dans les thèses de Cécile De Munck (2013) et de Wissal Selmi (2016).
Aujourd’hui, pour lutter contre les ilots de chaleur urbains (ICU), les aménageurs et les politiques publiques disposent d’une information qualitative pour élaborer des recommandations de plantations sans pouvoir évaluer leur impact réel.
Dans ce contexte, il paraît nécessaire d’engager une étude d’évaluation quantitative des services écosystémiques des arbres en ville et notamment leur pouvoir rafraîchissant en périodes estivales.
La rue Garibaldi - Lyon 3e nouvellement réaménagée a été choisie comme site pilote de recueil des données dans le cadre d’un vaste projet européen H2020. La Métropole de Lyon est partenaire de ce projet pour valider et diffuser les technologies mises en œuvre pour l’acquisition de données bioclimatiques localisées de lutte contre les ICU par le rafraîchissement naturel de la végétation.
Un premier objectif de l’étude est d’élaborer un protocole de caractérisation du confort thermique induit par la présence des arbres sur le site de Garibaldi et d’analyser les paramètres pouvant l’influencer. Des capteurs micro-dendrométriques de type PépiPiaf ont été ainsi mis en place pour mesurer en continu durant les étés 2016 et 2017, le fonctionnement hydrique et la croissance des arbres et en déduire le bon fonctionnement physiologique des arbres suivis. Des mesures de la température de l’air, de l’état hydrique et de la température du sol ont également été mises en place pour évaluer l’atténuation thermique en fonction de la disponibilité en eau du sol.
Rue Garibaldi réaménagée
La rue de Garibaldi, jadis conçue comme une autoroute urbaine qui traverse la ville de Lyon depuis le parc de la Tête d’Or au nord jusqu’au parc Blandan au sud, connaît depuis 2013 un réaménagement profond. Celui-ci favorise l’espace végétalisé et adoucit la circulation automobile. Le tronçon concerné par l’expérimentation offre près d’un demi-hectare de surface végétale sur environ 800 m de long. Les anciens platanes ont été conservés au côté de nouvelles essences plus résistantes à la sécheresse.
Dispositifs de mesure
Mesure micro-dendrométriqueparlesystème PépiPiaf. Comme tous les végétaux, les arbres assurent leur croissance en absorbant l’eau par les racines et en la véhiculant dans tous leurs organes grâce à la transpiration des feuilles qui assurent le moteur de l’ascension de la sève du xylème. Au niveau de ces dernières, l’eau avant d’être vaporisée dans les chambres sous-stomatiques, intervient dans le processus de photosynthèse pour fabriquer des molécules de sucre qui vont nourrir la croissance. Ainsi, cette activité de transpiration et de photosynthèse varie au cours de la journée et durant la saison en lien avec le climat (demande climatique), mais aussi en fonction des ressources en eau du sol. Le système micro-dendrométrique PEPIPIAF développé par l’INRA (UMR PIAF), est un capteur de déplacement qui permet de mesurer et de mémoriser très précisément (sensibilité micrométrique) les variations de croissance radiale d’un organe de l’arbre et d’en déduire le potentiel transpirant et les contraintes hydriques qui s’exercent sur celui-ci.
L’état hydrique de tous les organes de l’arbre à un instant donné est donc la différence entre l’eau absorbée par les racines, l’eau transpirée par les feuilles et la variation du stock d’eau interne (ex. fabrication de nouvelles cellules ou plasmolyse cellulaire). Ainsi, les cellules de l’écorce à un niveau donné, participent au flux transpiratoire en fonction de l’évolution de l’état hydrique au cours de la journée. Dès le lever du jour, l’ouverture des stomates des feuilles entraîne la transpiration de l’arbre. Les pertes en eau transpirée restent, à chaque instant, supérieures à l’absorption au niveau racinaire, même en présence d’un sol humide. Durant cette phase, le diamètre des différents organes décroît. Comme illustrée par le graphique ci-dessus, cette phase de décroissance correspond à une amplitude maximale des contractions (AMC) qui traduit l’intensité de la transpiration.
Pendant la nuit, en l’absence de transpiration, la réhydratation de l’arbre permet une récupération du diamètre des branches accompagnée d’une augmentation de celui-ci qui correspond à la croissance apparente journalière (CJ). Ce gain de croissance a lieu lorsque les conditions hydriques et climatiques ont été favorables à la photosynthèse.
Le système PépiPiaf composé d’un capteur de déplacement LVDT et d’une centrale d’acquisition et de transmission sans fil est installé en hauteur sur une branche d’un platane adulte.
Description des autres capteurs de mesure. Sur le même platane équipé du système PépiPiaf, un dispositif de sondes tensiométriques de type Watermark est mis en place pour suivre la disponibilité en eau du sol.
Les sondes de température sont installées dans le houppier de l’arbre équipé et sur un mât d’éclairage situé à environ 20 cm de cet arbre.
Résultats
L’acquisition des mesures micro-dendrométriques, tensiométriques et thermiques a été faite pendant l’été des années 2016 et 2017 à raison d’une mesure toutes les 30 minutes.Seulsles résultats du mois d’août de ces deux saisons sont présentés ci-après.
Évaluation du pouvoir transpirant de l’arbre
Transferts hydriques sol-arbre-atmosphère. Le suivi des variations micrométriques du diamètre a permis de mettre en évidence un gain de croissance pendant les deux périodes de mesures (août 2016 et 2017). Ce gain de croissance est représenté par la courbe de tendance en pointillés. Il témoigne globalement du bon fonctionnement photosynthétique de l’arbre. Un arbre en bonne santé est un arbre qui participe activement au rafraîchissement. Lorsque cette courbe de tendance est décroissante, cela signifie que l’arbre est en situation de stress hydrique.Lemanque d’eau dans le sol est la situation de stress la plus courante qui affecte significativement la photosynthèse et la transpiration.
Les mesures tensiométriques et les relevés pluviométriques sont reportées sur les figures 3 et 4. Pendant la période étudiée, les variations des tensions témoignent d’une bonne activité racinaire des platanes, et par conséquent d’un fonctionnement hydrique qui ne semble pas manifester de stress particulier. Les précipitations reçues ont largement contribué à maintenir l’environnement racinaire de l’arbre dans des conditions hydriques confortables.
Evaluation du pouvoir transpirant de l’arbre. L’allure des courbes en vert des variations micrométriques (figures 1 et 2) fait apparaître périodiquement des points d’inflexion qui correspondent à l’amplitude maximale des contractions (AMC). Chaque décroissance de la courbe traduit la contribution des réserves en eau des cellules de l’écorce à la transpiration. Le flux d’eau lié à la transpiration représente donc le pouvoir rafraichîssant de l’arbre. Plus la courbe oscille dans la journée entre un diamètre maximum et un diamètre minimum, sans perte de croissance, plus l’arbre transpire et contribue par conséquent à atténuer la température alentour. Cette évaluation qualitative correspond donc à un fonctionnement physiologique optimal pour rafraîchir l’air ambiant. Dans l’absolu, le cumul des pertes de diamètre calculé entre 6 h 00 et 14 h 00 est de 332 microns en août 2016 et de 128 microns en août 2017. Si l’on compare les AMC des deux saisons, on constate que la transpiration est quasi régulière en 2016 alors qu’en 2017, le platane a davantage transpiré à la fin du mois.
Ces différences du potentiel transpirant sont liées à plusieurs facteurs parmi lesquels, les conditions hydriques du sol et le stade phénologique de l’arbre sont déterminants. Au mois d’août, la croissance du platane est ralentie. Les échanges hydriques se font essentiellement par le biais de la transpiration qui dépend de la demande climatique et de la disponibilité en eau du sol.
Les conditions hydriques du sol suivies par la tensiométrie ont été favorables à l’activité transpiratoire de l’arbre pendant les deux saisons (figures 3 et 4).
Amélioration du confort thermique
La transpiration de l’arbre contribue à abaisser la température de son environnement proche. Les écarts des températures enregistrées dans le houppier de l’arbre par rapport à celles relevées à proximité du candélabre situé à environ 20 m et à celles de la station météorologique de Bron sont respectivement de 1,08 et 1,78°C en 2016 et de 0,81 et 2,33°C en 2017.
L’écart maximum de 8,09 °C est enregistré pendant la journée du 18/08/2017 où la température rapportée par la station de Bron est de 32,80° alors que celle relevée dans l’arbre est de 24,65°C.
Cependant, la distribution des températures maximales au cours du mois pour chaque saison fait apparaître de faibles variations de ces écarts de température (figures 5 et 6). L’atténuation thermique engendrée par la présence de l’arbre se confirme à chaque date.
Conclusion
La mesure par micro-dendromètre PépiPiaf des variations de diamètre d’un arbre est un bon indicateur de sa croissance, de sa contrainte hydrique et donc in fine de l’intensité de sa transpiration. Les valeurs obtenues au cours de cette première étude ont permis de caractériser la contribution du flux transpiratoire de l’arbre à l’atténuation thermique et par conséquent à la lutte contre les ilots de chaleur urbains. Cependant, cette approche qualitative nécessite la mise en place d’un protocole plus large mettant en œuvre plusieurs modalités et répétitions permettant de quantifier le pouvoir rafraîchissant et d’établir la corrélation entre la transpiration de l’arbre et la baisse des températures de proximité par rapport à celles de la station météorologique la plus proche.
Ce bénéfice rendu par le pouvoir rafraîchissant de l’arbre n’est pas le seul service écosystémique de l’arbre urbain. Il s’ajoute à ceux utiles à bien des niveaux : stockage du carbone, purification de l’air, refuge de la biodiversité, protection des sols et infiltration des eaux…
Pour en savoir plus sur les principes d’utilisation de la micro-dendrométrie PépiPiaf, consulter ces principales références :
• AMEGLIO T., B. MORANDINI, CORELLI-GRAPPADELLI L., NAOR A., 2015 - Observer l’arbre plutôt que le sol. Réussir Fruits & Légumes 355, supplément Irrigation Arbo (Novembre 2015), 4-5.
• AMEGLIO T, DUSOTOIT-COUCAUD A, GUILLOT V, COSTE D, ADAM B., 2009 - PépiPIAF : une nouvelle génération de biocapteurs pour le pilotage d’une arboriculture de précision. 2ème conférence sur l’entretien des espaces verts, jardins, gazons, forêts, zones aquatiques et autres zones non agricoles, 2009, Angers, France. pp.10. 〈hal-00964672>
• DAUDET F.A., AMÉGLIO T., COCHARD H., ARCHILLA O., L. LACOINTE, 2005 - Experimental analysis of the role of water and carbon in the tree trunk diameter. Journal of Experimental Botany 56 (409), 135-144. (DOI: 10.1093 / jxb / eri026)