L'économie circulaire de l’eau commence et se termine avec l'agriculture

Beaucoup d’encre a coulé ces dernières années concernant deux sujets importants :
les économies circulaires et la capture du carbone. L’agriculture est concernée par ces deux thèmes qui prennent encore plus d’importance et de pertinence avec les systèmes irrigués. En effet, une irrigation intelligente peut avoir une action bénéfique là où le bât blesse.

L'économie circulaire de l'eau commence à partir de la ressource en eau, qui se divise en eau domestique et en eau industrielle. Après son utilisation, l’eau est traitée, étape clé qui fait que l’on a un système circulaire à la place d’un système linéaire où l'eau est rejetée et s'écoule vers l'aval. Après traitement, l'eau est réutilisée, que ce soit comme eau industrielle (chauffage, refroidissement ou nettoyage industriel), comme eau potable (dans des environnements avancés comme le système NEWater de Singapour) ou comme eau d'irrigation. Le ruissellement ou l'infiltration de l’eau dans les champs irrigués reconstituent les sources d'approvisionnement en eau et le cycle recommence.

Au fur et à mesure que l'eau circule dans les champs irrigués, elle contribue de manière significative à la mise en œuvre d’un autre outil puissant qui place les agriculteurs au centre de la défense de l’environnement : la capture du carbone. La puissance de l'agriculture réside dans le fait que les plantes cultivées capturent le carbone de l'atmosphère et le fixent dans le sol sous forme de matière organique stable. Cette séquestration, ou capture du carbone, élimine les gaz à effet de serre de l'atmosphère et contribue ainsi à réduire le réchauffement climatique. En même temps, elle favorise la formation de sols sains, alimentant un écosystème microbien dynamique et créant une autre voie circulaire qui exploite les nutriments du sol pour favoriser la croissance des plantes, puis décompose la matière végétale morte pour récupérer ses nutriments et son carbone pour reconstituer le sol. Au fur et à mesure que ce cycle se déroule, les agriculteurs produisent de la nourriture, du carburant et des fibres.

L'irrigation favorise la capture du carbone en augmentant les rendements et en réduisant le risque de déficit de croissance des plantes dû à la sécheresse. Cela permet d’être sûr que dans un premier temps les plantes peuvent effectivement capturer le carbone.

 

Une puissante alternative

L'agriculture est l'approche la plus efficace pour capturer le carbone tout en offrant l'avantage exceptionnel de nourrir les hommes. Les ingénieurs et les rêveurs sont souvent attirés par le sex appeal des solutions de haute technologie, comme les machines qui captent le dioxyde de carbone, le concentrent et l’injectent sous terre, ou utilisent une pyrolyse à faible teneur en oxygène pour brûler la biomasse en biochar. Lorsque le Lawrence Livermore National Laboratory a publié son rapport “Getting to Neutral”, il contenait énormément de solutions faisant appel à des telles technologies

Pour les auteurs du rapport, exploiter le potentiel de la capture du carbone par l’agriculture correspondait à la mise en place de « cultures cultivées à cet effet » qui produisant de la biomasse, pouvaient alimenter les usines de pyrolyse, ou à l’implantation de forêts denses qui pouvaient devenir des stocks de carbone.

L’ironie de la chose et qui a échappé aux auteurs du rapport c’est que leur laboratoire était presque aussi proche de certaines terres agricoles les plus productives du monde que des usines de la Silicon Valley qui avaient clairement attiré leur attention.

 

Irrigation : un niveau supérieur

Les champs fertiles de la vallée centrale de la Californie, les contreforts plantés en fruitiers et les très productives vallées côtières sont enviés par les agriculteurs du monde entier. Ces zones sont alimentées par un double système d'irrigation remarquable, le Federal Central Valley Project et le California Aqueduct, financés par l'État. Entre les mains des agricul­teurs californiens, cette précieuse eau d'irrigation produit en abondance fruits, noix, légumes, céréales, oléagineux, viande et plus encore – une nourriture abondante et une économie florissante. Cela ne se produira jamais avec des cultures destinées à produire de la biomasse ou avec des forêts conservées pour leur valeur en carbone.

Parmi les réussites technologiques, l'irrigation est proba­blement l'une des plus spectaculaires et des plus impor­tantes, notamment en Californie où, selon la California Farm Water Coalition, entre 1984 et 2018, la superficie en irrigation goutte-à-goutte a augmenté de 900 %, tandis que l'irrigation par aspersion a chuté de 49,9 % et la superficie d'irrigation par gravité/submersion de 33,7 %.

L'irrigation goutte-à-goutte, en particulier l'irrigation goutte-à-goutte enterrée, se prête parfaitement à une irrigation de qualité, élément essentiel pour l'agriculture de précision. Elle s'accompagne d'un contrôle précis des volumes d’eau et des dates d’apport tout comme pour les nutriments et les pesticides et pour leur localisation. Les rendements, et donc la captation du carbone par les cultures augmentent, ainsi que les rapports production par goutte d’eau et par quantité de fertilisants apportés. L’irrigation devient un outil dans la gestion des éléments fertilisants avec le programme 4Rs of Nutrient Stewardship que l’on pourrait aussi appeler 4 B en aidant les agriculteurs à apporter le Bon engrais, (Right Source) à la Bonne dose (Right Rate), au Bon moment (Right Time) et au Bon endroit (Right Place).

Une utilisation plus efficiente des engrais, en particulier de l'azote, qui est en grande partie fabriqué à partir de gaz naturel dans une réaction énergivore, réduit ainsi fortement la production de gaz à effet de serre. On constate ainsi une diminution des nitrates dans les eaux souterraines qui contribuent au syndrome du bébé bleu, ou de l'azote dans les eaux de surface qui entraine les proliférations d'algues nuisibles dans le golfe du Mexique et dans d'autres zones d’eau salée. En utilisant l'eau d'irrigation pour apporter les engrais aux racines des plantes, on réduit également l’émission des gaz d'échappement produits par les tracteurs et les épandeurs.

 

Leçon de chimie

Le positionnement dans le sol des éléments nutritifs – sans travail énergivore du sol ni enfoncement d'un localisateur dans le sol – réduit également les émissions de gaz à effet de serre et la formation de gaz provenant de la transformation chimique des engrais à la surface du sol. Les engrais azotés peuvent libérer de l'ammoniac, de l'oxyde nitreux et de l'oxyde nitrique lorsqu'ils subissent les processus de nitrification et de dénitrification dans le sol.

L'Environmental Protection Agency des États-Unis estime que 74 % de l'oxyde nitreux émis aux États-Unis provient des sols agricoles. Un article paru dans Science Advances estime que 25 à 40 % des émissions d'oxyde d'azote en Californie sont rejetés par les sols agricoles de la vallée centrale.

Pour les agriculteurs, cela représente une double peine : tout d’abord, parce qu’ils sont la cible des défenseurs de l’environnement et qu’ensuite, cet azote perdu, qui représente des dépenses pour son achat et pour son épandage n'est plus disponible pour les cultures.

Des chercheurs aux États-Unis et au Canada ont également démontré que l'aération de l'eau d'irrigation goutte-à-goutte souterraine par un système AirJection provoque dans le sol une augmentation des bactéries aérobies et en particulier des bactéries qui fixent l'azote dans les sols.

Des recherches se poursuivent sur l'impact de ce changement sur l'efficacité de l'utilisation des nutriments et sur leurs émissions. AirJection appelé « labour sans charrue » – aère la zone racinaire sans les perturbations physiques sur lesquelles les agriculteurs comptent pour créer un lit de semence aéré. En exposant à l'air la matière organique enfouie, le travail du sol provoque la libération du carbone stocké, l'inverse de la séquestration. Avec l'irrigation goutte-à-goutte souterraine aérée, les agriculteurs conser­vent le carbone déjà stocké en toute sécurité dans le sol, puis l'ajoutent à la biomasse produite grâce à l’eau d'irrigation.

 

Opportunités présentées par les cultures sous abri

L'irrigation intelligente est également la base d'une agriculture sous abri réussie. Qu'il s'agisse des serres conventionnelles ou des systèmes agricoles verticaux ultra-modernes actuels, l’agriculture sous abri peut être le modèle même d’une agriculture en système fermé qui favorise une économie circulaire de l'eau et exploite les possibilités de réduction de la consommation d'énergie et des émissions grâce à l'efficacité de l'eau.

Dans un système fermé, la règle des 4B peut être appliquée avec le maximum de précision.

Combinant une technologie d'irrigation intelligente avec l'ingéniosité et l'engagement des agriculteurs, l'agriculture irriguée peut être le moyen le plus puissant et le plus efficace pour lutter contre le changement environnemental dans le monde. Si l'humanité veut atténuer le changement climatique et renforcer la résilience de la production alimentaire mondiale grâce à la réduction des émissions et à la capture du carbone, la première étape, la plus intéressante consiste à exploiter la puissance de l'agriculture irriguée.