Irrigation localisée, irrigation par aspersion. Comment choisir d’après des critères agronomiques ?

Dès les années 70, l’irrigation localisée s’est développée rapidement, en particulier sur des cultures où l’irrigation par aspersion était utilisée couramment auparavant : vergers, cultures maraîchères.

Les caractéristiques de l’irrigation localisée sont notamment de délivrer l’eau directement à proximité du sol, et de façon fréquente. Seule une partie de la surface du sol est mouillée, et donc seule une partie du volume du sol est concernée. En irrigation par aspersion, l’eau est au contraire pulvérisée à partir d’une certaine hauteur au-dessus du niveau du sol ; les gouttes tombent donc avec une certaine intensité et une certaine force à la surface du sol.

Par conséquent, en dehors de toute autre considération (matériel, main-d’œuvre nécessaire, coût, bilan énergétique, bilan carbone…), ces deux méthodes présentent des différences notables sur le plan strictement agronomique, de par leur influence sur l’ensemble microclimat-sol-plante.

Dans cet article, nous proposons d’examiner différents éléments qui interviennent sur le plan agronomique, et pour chacun, de comparer ces deux grands systèmes d’irrigation. Enfin, une synthèse sur quelques exem­ples permettra de montrer quels sont les points qui peuvent orienter le choix vers l’un ou l’autre de ces systèmes à partir de critères agronomiques.

 

I. Le type de culture

L’irrigation localisée s’est principalement appliquée, au départ, à des cultures pérennes, car un déplacement des tuyaux chaque année aurait demandé beaucoup de travail, et également provoqué une usure importante. Par ailleurs la plupart de ces cultures ont une densité moindre que les cultures annuelles, ce qui diminue les frais d’investissement.

Cependant, dès le début, il a existé des exceptions, telles que :

• la canne à sucre, pour laquelle on utilisait des gaines suintantes, qui étaient brûlées en fin de récolte (aïe l’écologie !),

• et les cultures maraîchères, de plein champ ou sous serre, suffisamment intensives et à forte valeur ajoutée, pour pouvoir amortir un tel système, malgré son coût de renouvellement élevé.

Un certain nombre d’expérimentations et de réali­sations ont tenté d’introduire l’irrigation localisée en culture annuelle de forte densité (par exemple le maïs), mais n’ont pas apporté de preuves d’intérêt suffisant pour ces cultures.

ii. Le sol

Pour le choix d’un système d’irrigation, il est à consi­dérer sous trois aspects :

• son comportement en surface,

• sa structure en profondeur,

• la forme du front d’avancement de l’eau à l’intérieur du sol, ou front d’humectation.

Examinons tout d’abord le cas du comportement du sol en surface vis-à-vis de l’irrigation. Un sol battant, c’est-à-dire un sol qui a tendance à se déstructurer et à former une croûte en surface, – par agglomération des éléments fins qui rejaillissent avec les gouttes –, sera peu propice à une irrigation par aspersion, notamment si les gouttes arrivent avec une énergie importante dans le sol, comme cela peut être le cas pour l’irrigation par canon.

Ce phénomène de battance peut être particulièrement important s’il est nécessaire d’arroser avant l’implantation de la culture, sur un sol encore nu. Il y a un risque de croûte en surface, et la levée des semis peut être très problématique. Cela peut provoquer aussi un manque d’air au niveau des racines. Ce phénomène pourrait se produire également sur une culture pérenne qui serait cultivée sans enherbement. On préférera dans ce cas l’irrigation localisée.

Par ailleurs l’irrigation localisée peut faciliter le travail du sol en surface, puisque ce sol reste sec en partie, et même le réduire, si ce travail était lié à la lutte contre les adventices (moins nombreuses) ou à l’amélioration de la structure en surface.

Un autre aspect de l’irrigation localisée peut s’avérer intéressant : contrairement à l’aspersion, l’irrigation localisée permet d’éviter la stagnation d’eau en surface, ou un ruissellement trop important, avec risque d’érosion, en cas de pluie survenant juste après ou pendant une irrigation. En effet, la partie sèche de la surface du sol peut encore absorber de l’eau apportée par la pluie.

Enfin, l’irrigation localisée permet de laisser dans certains cas les adventices entre les rangs : elles y sont moins nombreuses qu’en irrigation par aspersion et concurrencent moins directement la culture. Elle permet également de diminuer dans certains cas les phénomènes de ruissellement et d’érosion.

La structure du sol en profondeur. Comme consé­quence des points évoqués dans le paragraphe précédent, une irrigation localisée peut permettre des passages d’instruments de travail du sol moins fréquents. Le risque de tassement du sol lié à ces passages et donc diminué.

Cependant, toujours en ce qui concerne la structure interne du sol, il faudra aussi se méfier du risque de dispersion des ciments argileux et limoneux par l’irrigation localisée, ce qui explique l’importance d’avoir des débits de goutteurs compatibles avec la vitesse de déplacement de l’eau dans le sol et des volumes unitaires compatibles à sa capacité (avec apports intermittents et non continus).

Front d’avancement et progression de l’eau dans le sol. Rappelons à présent que la pénétration de l’eau dans le sol, en irrigation par aspersion, s’effectue en principe avec un front d’avancement horizontal vers la profondeur.

Au contraire, en irrigation localisée, le gradient de tension (on parle aussi de l’opposé du potentiel hydrique, qui comprend principalement les potentiels matriciel et gravitaire) provoque le déplacement de l’eau dans toutes les directions : faible tension au point de gouttage, tension plus élevée aux alentours du fait de l’absorption par les racines. Il se produit un front sphéroïdal autour de chaque point d’apport. On désigne habituellement cette zone à l’intérieur du front d’avancement sous le nom de « bulbe ». Dans la réalité, et en fonction des hétéro­généités de sol, texturales ou structurales, cette zone a rarement la forme d’un bulbe parfait, on a pu lui préférer un terme moins spécifique, la zone sous influence du goutteur (ZIG). Ainsi, si la perméabilité du sol est forte, on risque, dans le cas d’une irrigation localisée en goutte-à-goutte, ou d’un système Bas-Rhône (BRL), des pertes d’eau par percolation profonde, avec un bulbe allongé verticalement à cause d’une faible diffusion latérale de l’eau. On préférera alors l’aspersion, en irriguant assez souvent, à doses faibles, ou encore l’irrigation localisée par mini-diffuseurs, qui répartit l’eau sur des surfaces plus importantes que les goutteurs.

En revanche, lorsque la perméabilité du sol est faible, avec éventuellement un terrain en pente, l’irrigation localisée, avec ses arrosage fréquents mais à dose réduite, permettra d’éviter des pertes par ruissellement.

 

drip irrigation

 

 

III. Le système racinaire

Les interactions entre les systèmes racinaires et les différents types d’irrigation sont à considérer sous différents aspects, notamment risque de stress pour la plante, utilisation des engrais, adaptation d’un système à l’autre, risque en cas de panne.

 

soil health

1. L’irrigation localisée étant caractérisée par des apports fréquents, la variation de tension, ou de dis­ponibilité de l’eau, dans la zone racinaire est relativement faible au cours du temps. Il n’y a pas de longue période où l’eau ne serait pas ou peu disponible.

Au contraire, en irrigation par aspersion, même lorsque l’on s’astreint à des arrosages assez fréquents, on arrive plus difficilement à un tel résultat.

2. L’irrigation localisée permet l’apport d’engrais avec souvent une meilleure efficacité, car ils sont apportés là où les conditions hydriques du sol sont les plus favorables à l’absorption par les racines, et dans des zones où la densité racinaire est importante. Bien sûr, à condition de rester dans des gammes de concentration et de salinité compatibles avec le bon fonctionnement des racines.

3. En ce qui concerne l’adaptation du système racinaire lorsque l’on passe d’un système à l’autre, notamment pour des vergers, les situations peuvent varier en fonction des espèces et des types de sol. L’adaptation du système racinaire lors du passage de l’aspersion à l’irrigation localisée peut se faire assez rapidement pour certains vergers avec une relocalisation des racines dans les zones sous influence des goutteurs. Mais ce n’est pas toujours le cas, et il convient de rester prudent, de chercher des exemples similaires avant d’envisager un changement.

Quant à l’adaptation inverse, passage du localisé à l’aspersion, il peut y avoir également des difficultés, avec un risque de perte d’eau dans les zones non explorées par les racines, pendant tout le temps de la période d’adaptation.

4. En cas de panne du système d’irrigation, le risque peut être important en irrigation localisée, où les racines sont moins étalées et intercepteront moins bien une pluie éventuelle. Et surtout, il se produira un rapide épuisement de l’eau dans la zone où les racines sont les plus concentrées. Il est important de disposer d’un système d’alerte ou de surveillance.

 

IV. La partie aérienne

Là encore, de nombreux aspects très divers sont à prendre en considération pour choisir l’un ou l’autre type de système d’irrigation.

Nous allons tenter d’en faire la revue.

• Lutter contre le gel : seule l’irrigation par aspersion permet la lutte contre le gel.

• Points de vue phytosanitaires :

- les installations par aspersion peuvent être utilisées pour certains traitements sur la partie aérienne ce que ne permet pas l’irrigation localisée. En revanche un traitement déjà effectué par ailleurs risque d’être lavé, si un apport d’eau s’avère nécessaire peu après une application de produit sur les feuilles, inconvénient que n’a pas l’irrigation localisée.

- S’il y a un risque de maladie cryptogamique, il peut être aggravé par l’aspersion, l’inoculum étant dispersé par le rejaillissement des gouttes d’eau ; de plus le développe­ment des spores peut être facilité par la forte humidité de l’air pendant et immédiatement après l’aspersion. On peut réduire ce dernier inconvénient en irriguant quelques heu­res avant le coucher du soleil à un moment où l’évaporation est forte et où le feuillage sèche vite, si c’est possible.

- En cas de maladie et de parasitose se développant au collet des plantes (fusarioses, nématodes, etc.), l’irrigation par aspersion, notamment sur frondaison, entraîne une interception des gouttes par le feuillage et un écoulement préférentiel le long de la tige, ce qu’il faut éviter. En irrigation localisée, on éloignera un peu le goutteur du pied même de la plante.

- Au contraire, si certains insectes nuisibles sont favorisés par un climat sec (par exemple acariens sur tomate) on peut préférer l’aspersion à l’irrigation localisée, car elle permettra d’entretenir une certaine humidité de l’air.

- En présence d’eau chargée, par du sable fin ou des particules diverses (pour le sel, voir § V), l’aspersion risque d’abîmer ou de salir les feuilles et fruits. Cependant, en irrigation localisée, une telle eau ne pourra être utilisée qu’avec des distributeurs de gros calibre, si l’on veut éviter une filtration fine coûteuse (qui de toute façon résoudrait aussi le problème en irrigation par aspersion).

- De même, si l’on veut pouvoir irriguer pendant la floraison lorsque les fleurs sont fragiles, on préférera l’irrigation localisée.

- En revanche, pour certaines plantes sensibles à la sécheresse ou à la température de l’air, on préférera l’irrigation par aspersion, en effectuant des arrosages fréquents, à moins que l’on ne puisse associer une brumisation à l’irrigation localisée (serres). Si, malgré tout, on adoptait l’irrigation localisée, il faudrait éviter de mettre un paillage plastique.

- En présence de vent fréquent, l’uniformité de l’arrosage sera meilleure en irrigation localisée qu’en aspersion.

- Un aspect souvent évoqué concerne l’économie d’eau que peut permettre l’irrigation localisée par rapport à l’aspersion. Cet élément peut prendre un aspect primordial lorsque l’eau est rare. Concernant la partie aérienne, il peut se produire effectivement, au moment de l’arrosage et juste après, en climat aride ou venteux, une forte évapo­ration à trois niveaux : pendant le trajet des gouttes dans l’air, à partir de la surface du sol, et à partir des gouttes tombées sur la végétation. En climat tempéré, le phéno­mène est moindre, sauf si l’on doit arroser aux heures chaudes de la journée. Par ailleurs, l’irrigation localisée permet une modulation plus fine des apports d’eau que l’irrigation par aspersion, en fonction par exemple de l’âge de la végétation ou des différents stades végétatifs.

- Enfin l’aspersion peut poser des problèmes pour l’arrosage des bordures de parcelles : à moins d’adaptations techniques particulières, elles peuvent être moins bien arrosées que le restant du terrain. Avec l’aspersion, on risque d’arroser les chemins ou cultures voisines (risque de mildiou s’il s’agit de vigne, etc., et perte d’eau).

 

V. Le problème du sel

Il se pose à partir de certains seuils de concentration en sel de l’eau déposée sur les feuilles et de l’eau du sol, et en fonction de l’équilibre ionique de ces solutions. Certaines espèces végétales sont très sensibles au sel (fruits à noyaux, fraisier, salade, haricot vert, etc.), d’autres sont faiblement résistantes (pomme de terre, vigne, etc.), d’autres résistent mieux (tomates, betteraves, asperges).

soil health

Deux aspects sont à évoquer :

• l’utilisation d’une eau d’irrigation trop salée. En aspersion elle risque de provoquer des brûlures sur les feuilles. Quant à ce qui se passe dans le sol, les problèmes sont les mêmes que lorsqu’on est en présence d’un sol salé.

• Dans le sol : en irrigation localisée, les seuils de tolérance sont reculés. En effet le sel reste en solution, même à forte concentration, dans le bulbe (la zone sous l’influence du goutteur), car la teneur en eau y reste élevée au cours du temps.

On peut schématiser la localisation du dépôt éventuel de sel (voir schéma ci-dessus).

 

VI. Exemples d’application

Voyons à présent quelques exemples pratiques d’appli­cation de l’analyse des critères agronomiques de choix précé­demment évoqués.

Exemple 1 : il s’agit d’un verger à sol battant, en climat tempéré. Il y a parfois du vent. On peut aussi lutter contre le gel.

Plusieurs critères sont ici en faveur d’un système localisé : il s’agit d’un verger (culture à densité plus faible qu’une culture annuelle), le sol est battant ; il y a du vent.

Cependant l’irrigation localisée ne permet pas de lutter contre le gel, ce qui paraît essentiel ici.

On choisira donc plutôt une irrigation par aspersion sur frondaison. On vérifiera qu’il n’y a pas de problème du point de vue du débit disponible et que le coût important du système (fixe) se justifie. Le problème de la battance du sol pourrait être en grande partie résolu par l’enherbement du verger. On évitera d’arroser quand il y a du vent. De même, il faudra s’organiser pour arroser avant un traitement et non après.

Exemple 2 : une parcelle de maraîchage, avec un sol sableux très perméable, en climat tempéré. Risque important de maladie cryptogamique ou de maladie du collet.

Dans ce cas, ce sont les problèmes phytosanitaires qui prédominent et présentent des risques graves pour la récolte. Bien qu’il s’agisse d’une culture annuelle (et peut-être même de plusieurs cultures la même année), on choisira l’irrigation localisée. On admettra donc une usure plus importante des rampes, et le déplacement du dispositif à la fin de chaque culture exigera davantage de main-d’œuvre. Cependant le maraîchage est une culture intensive, et les frais d’irrigation importants pourront être plus facilement amortis. Par ailleurs le sol est très perméable, et il faudra donc faire attention à la dose apportée pour éviter des pertes par percolation. Dans le même ordre d’idée, on sera égale­ment amené à prévoir une densité assez importante de goutteurs pour pallier la faiblesse de diffusion horizontale de l’eau dans le sol.

 

Conclusion

On note que dans les exemples proposés, le mode d’irrigation choisi, d’après un critère jugé primordial, ne présente pas que des avantages, et ne permet pas de résoudre toutes les difficultés. On pourra éventuelle­ment remédier à ces dernières par d’autres moyens que l’irrigation, ou en adaptant le dispositif d’irrigation, ou encore en combinant plusieurs systèmes. Ainsi, actuellement, on observe une migration du goutte-à-goutte seul vers la combinaison aspersion plus goutte-à-goutte. Ou bien, la micro-aspersion peut apporter une solution intermédiaire entre l’irrigation très localisée par goutteurs et l’aspersion.

II peut également se présenter des cas, pour lesquels les seuls critères agronomiques ne permettent pas de faire un choix et d’accorder une nette préférence à un système plutôt qu’à l’autre. Il faudra alors faire inter­venir d’autres aspects : coup, matériel, main-d’œuvre, etc.

Notons que, même dans les exemples proposés, ces aspects sont intervenus plus ou moins directement ou indirectement, dans la mesure où le coût d’une méthode choisie à partir de critères agronomiques doit être justifié économiquement. Ces aspects non directement agronomiques doivent être envisagés plus complètement afin de choisir dans l’important éventail de dispositifs techniques existants pour chaque méthode d’irrigation, ce qui convient le mieux. Ils feront l’objet d’un prochain article, évoquant des aspects complémentaires des aspects agronomiques, tels que : mesures incitatives de l’Union Européenne, par exemple, aspects hydrauliques, aspects réglementaires, etc.