Santé : en plein développement, les terrains qui contiennent du caoutchouc recyclé présentent-ils des risques pour les pratiquants ? Certaines collectivités s’inquiètent.
Rendons à César ce qui lui appartient, c’est le magazine spécialisé « So Foot » qui a levé le lièvre le mois dernier : les terrains synthétiques sur lesquels des cohortes de jeunes et de moins jeunes s’imaginent un destin à la Griezmann seraient suspects. Des catégories entières de ces surfaces contiennent des produits de recyclage de pneus, c’est-à-dire du caoutchouc de synthèse et des composés chimiques qui ne sont pas les meilleurs amis de l’homme. Les brins synthétiques qui imitent la pelouse ne sont pas en cause. En revanche, les billes de remplissage en caoutchouc broyé qui assurent l’élasticité des terrains posent question dès lors que le matériau vole sous forme de poussières. Celles-ci peuvent entrer en contact direct avec la peau, voire avec des plaies. C’est valable pour les footballeurs et encore plus pour les rugbymen qui s’entraînent de plus en plus sur surface synthétique, à l’abri des rigueurs et de la gadoue hivernale. Ces poussières sont également susceptibles d’être inhalées et ingérées par les joueurs. Et par fortes chaleurs, la substance dégage une odeur très éloignée des critères de l’industrie de la parfumerie.
« On ne peut pas nier que les émanations peuvent être très gênantes. La chaleur est un problème de taille sur les terrains synthétiques. On peut d’ailleurs se brûler la plante des pieds », juge Arnaud Dugast, le fondateur et directeur de CoverGarden, une société girondine qui a fourni en gazon naturel des stades prestigieux. Elle n’installe pas de terrains de sport synthétiques, mais occupe le créneau de l’hybride (mi-herbe, mi-synthétique), en plein développement. Son gazon synthétique à usage paysager ne comporte pas de billes de caoutchouc.
Inquiétude aux Etats-Unis
L’enquête de notre confrère de « So Foot » souligne que des cas de cancer du sang ont été relevés aux Etats Unis sur des joueurs particulièrement exposés, notamment des gardiens de but. Ce qui ne manque pas de susciter des inquiétudes alors que ce type de surface se généralise depuis une quinzaine d’années, à la fois dans les équipements communaux et dans des structures privées pour la pratique du foot à cinq. Sénatrice de la Gironde, Françoise Cartron s’en est récemment émue en adressant une question écrite à Laura Flessel, la ministre des Sports. « Quand j’étais maire d’Artigues-près-Bordeaux, on me vantait les avantages des terrains synthétiques mais, en même temps, on me disait que les enfants devaient porter des vêtements longs et qu’il fallait bien ventiler les salles. Les préconisations des fabricants sont une chose, la vraie vie en est une autre. Je ne voudrais pas que l’on se retrouve avec un gros problème de santé publique sur les bras », se justifie-t-elle. Au sein des collectivités locales, des élus s’interrogent, comme à Nantes ou à Mérignac (33). Les terrains synthétiques présentent de multiples avantages, malgré un investissement initial plus lourd. « Il faut compter autour de 600 000 euros pour un grand terrain synthétique, moins de 200 000 euros pour une pelouse naturelle », évalue Frédéric Gil, le directeur des sports de la ville de Bordeaux. Mais leur coût d’entretien est réduit. Le temps de jeu y est illimité alors qu’une pelouse naturelle ne supporte pas plus de huit heures de pratique hebdomadaire. « Et les surfaces synthétiques ont remplacé les terrains en stabilisé dont plus personne ne voulait parce qu’on s’y blessait facilement. Ils ont répondu à un besoin des collectivités et des clubs », rappelle Arnaud Dugast.
Plusieurs générations
Si une ville comme La Rochelle dit n’avoir pas succombé aux charmes du synthétique, Bordeaux s’est, par exemple, équipé au fil du temps de six terrains de mini-jeu et de quatre city stades en cette matière. « Il y a plusieurs générations de terrains synthétiques. Sur la première, les billes de caoutchouc ne sont pas enrobées. Sur une autre catégorie, le caoutchouc est contenu dans un opercule hermétique qui évite les odeurs. Avec les techniques les plus avancées, on a du caoutchouc naturel dans les opercules. C’est-à-dire qu’il n’y a plus de résidus de broyage des pneus », expose Frédéric Gil. Selon la mairie, les terrains synthétiques de la ville sont rechargés en billes de caoutchouc tous les 18 à 24 mois. Avec des billes entourées d’opercules. Ce n’est pas forcément le cas partout, pour des questions de coût principalement. Signe que la question commence à agiter les consciences, les maires adjoints aux sports des communes de Bordeaux Métropole devraient aborder la question lors d’une prochaine réunion. Pour tous les gestionnaires d’équipements de ce type, il faudra bien lever le doute et informer le public. Sur les terrains de sport synthétiques mais également sur les revêtements amortisseurs dont sont pourvues les aires de jeu pour les enfants, par exemple.
On manque de connaissances précises
Agences sanitaires : au cours de l’année qui vient, des études devraient évaluer le risque éventuel que présentent les surfaces en pneus recyclés.
L’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, n’échappe pas à la règle valable pour ses homologues à travers le monde : elle croule sous les priorités, qu’il s’agisse des insecticides ou des perturbateurs endocriniens. « La direction de l’évaluation des risques s’était autosaisie de la question des risques associés à la pratique du sport sur les terrains synthétiques à base de pneus recyclés. En 2014, elle avait initié un travail préliminaire sur le sujet. Mais nous avons dû nous concentrer sur d’autres questions sanitaires urgentes soulevées par nos autorités de tutelle. Ce travail a été différé », répond l’Agence nationale de sécurité sanitaire quand on l’interroge sur l’état de la science. Il mérite manifestement d’être achevé. Car « ce travail a permis d’identifier des manques de connaissances sur les compositions de ces revêtements et les expositions possibles pour les personnes qui les fréquentent. En raison de la faible qualité et de la faible quantité des données disponibles, il n’a pas été possible de conclure à un risque sanitaire », poursuit l’Anses. L’Agence souligne toutefois la nécessité d’acquérir des données sur les substances chimiques refoulées par les gazons synthétiques et les aires de jeu aménagées pour les enfants.
Des études internationales
Pour résumer, on ne sait pas si les terrains de sport synthétiques peuvent présenter des dangers pour la santé. Mais on ne sait pas non plus s’ils n’en présentent pas… Ceci étant, les lignes sont en train de bouger. L’Agence européenne des produits chimiques (Echa) coordonne une étude sur le sujet. L’ensemble des 28 états membres doivent lui transmettre leurs données en vue d’un rapport de synthèse à paraître. L’Europe suit de quelques années les avancées des scientifiques américains. Ce qui n’est pas étonnant si l’on considère que le synthétique a effectué une percée plus précoce outre-Atlantique. L’Agence américaine de protection de l’environnement (l’EPA) a lancé une étude, il y a deux ans, sur les risques sanitaires liés aux granulats de pneus recyclés. Y sont associés tous les organismes et instituts nationaux compétents en matière de santé publique. En théorie, elle devrait publier incessamment un rapport intermédiaire sur la question