L’état français veut généraliser Les « projets de territoire pour la gestion de l’eau »

Le gouvernement français a annoncé son souhait de « généraliser les projets de territoire pour la gestion de l’eau ». Trois ministres et secrétaires d’Etat – François de Rugy, Didier Guillaume et Emmanuelle Wargon, ont ainsi signé, mardi 7 mai 2019, une instruction à destination des préfets pour qu’ils mettent en œuvre cette démarche qui résulte de la deuxième phase des Assises de l’Eau.

Plus fortes pluies au nord, des sécheresses au sud

Le changement climatique a des conséquences sur le cycle de l’eau. L’augmentation des températures réchauffe les océans, ce qui a pour conséquence une hausse de l’évaporation. L’eau qui s’évapore retombe sur terre sous forme de précipitations, le cycle de l’eau s’accélère et les précipitations s’intensifient. Ainsi, les régions déjà pluvieuses, comme le nord de l’Europe, doivent s’attendre dans l’avenir à de fortes pluies, très intenses, surtout en hiver. Au contraire, les régions peu humides, comme le pourtour méditerranéen, devraient l’être encore moins, à cause de la chaleur et des dynamiques atmosphériques. Ainsi, on a en France un risque d’aridification dans le sud, et de « méditerranéisation » des zones intermédiaires, comprises entre la Charente et l’Alsace.

Plusieurs facteurs aggravent cette situation. L’augmentation des températures accélère la fonte des neiges, qui a lieu au printemps, ce qui diminue les ressources en eau pour l’été. Les cours d’eau devraient perdre une grande partie de leur débit durant la période estivale. Résultat : les conflits d’usage dans les régions du Sud de la France vont s’intensifier dans les années qui viennent.

 Or, il est judicieux, lorsque c’est techniquement et économiquement pertinent, de mobiliser els ressources en eau au moment où elles sont le plus abondantes (en hiver) pour la stocker et s’en servir en période de sécheresse pour couvrir les différents usages (eau potable, soutien d’étiage, irrigation, industrie), sans prélever dans les rivières ou les nappes.

Ces retenues d’eau peuvent prendre la forme de petits lacs, creusés artificiellement et alimentés l’hiver par pompage dans les cours d’eau ou les nappes souterraines. Ou de retenues collinaires, alimentés par les eaux de ruissellement.

 

L’idée de création de retenues d’eau n’est pas nouvelle et s'est heurtée à de nombreux obstacles au fil des années

Longtemps, les agriculteurs ont pu prélever de l’eau dans les cours d’eau ou les nappes souterraines pour arroser leurs champs, sous la seule réserve de faire une déclaration individuelle aux services de l’Etat. La ressource en eau était abondante, le réchauffement climatique était ignoré et les autorisations étaient accordées sans limitations.

La loi sur l’eau de 2006 a mis un terme à ces prélèvements sans aucune restriction. La menace d’une tension réelle et durable sur la ressource se précisant, les pouvoirs publics décident de mettre les choses à l’endroit.

D’abord, en estimant pour chaque bassin hydrographique les quantités prélevables dans le milieu sans impact environnemental majeur. Ensuite, en programmant sur le long terme une baisse continue des prélèvements autorisés. Ainsi, les outils sont en place, la réduction des prélèvements programmée … mais la réforme bute sur la question controversée du stockage de l’eau. Il y a eu une sorte de marché entre les agriculteurs et les pouvoirs publics. Les agriculteurs étaient d’accord pour diminuer les prélèvements mais ils attendaient en échange que les pouvoirs publics donnent les autorisations pour la création de retenues d’eau.

Cependant, les retenues d’eau n’ont pas bonne presse dans les milieux écologiques. Elles sont accusées de déstabiliser la biodiversité des fragiles zones humides, et surtout, selon les associations écologiques, elles détourneraient les agriculteurs des réformes de fond à entreprendre pour faire face au changement climatique.

En 2012, Delphine Batho, alors ministre de l’écologie, a imposé un moratoire à la création de ces ouvrages qui avaient tendance à se multiplier, notamment dans le Sud-Ouest. Ce moratoire a été levé en 2015 par Ségolène Royal, à condition que l’ensemble des acteurs soient associés au projet, pour éviter d’aboutir à des contestations dramatiques comme celle qui avait entouré le projet du barrage de Sivens en 2014. Dans les faits, la plupart des projets ont été gelés. Les services de l’Etat ne sont pas hostiles à ces projets, mais face à la multiplication des recours, ils veulent des dossiers irréprochables.

Or, dans les faits, les pratiques des agriculteurs changent. Dans certaines régions, les surfaces en maïs irrigué reculent, les techniques d’irrigation s’affinent et on utilise des variétés moins gourmandes en eau. Un rapport du Conseil Général de l’Alimentation et de l’Agriculture (CGAAER) de juin 2017 tente de dépassionner le débat, en affirmant que la France est « très heureusement pourvue en eau par la nature » et dispose d’une irrigation peu consommatrice dont l’efficience a beaucoup progressé. Selon ce rapport, le volume d’eau moyen prélevé en France pour les cultures irriguées (1700 m3/ hectare et par an) est bien plus faible que les 4800 m3/ha/an observés en Espagne et en Italie, et que la moyenne observée dans l’Union Européenne (4000 m3). Le secteur agricole aurait déjà réduit ses prélèvements de 20 % en moyenne en 10 ans en France.

 

L’Etat favorable à la création de retenues d’eau

En septembre 2018, après un été très sec, le ministère de l’agriculture a publié les comptes de la sécheresse : la production française de maïs a reculé de 12.8 % en 2018, celle de blé de 5.5 % et celle de tournesol de 22.5%.

La FNSEA et des nombreuses associations d’agriculteurs demandent alors « une politique active de stockage de l’eau » et l’Etat y a répondu en décidant de généraliser les projets de territoire pour la gestion de l’eau.

Pour régler les conflits d’usage de la ressource, le gouvernement souhaite désormais privilégier les projets de territoire, une méthode qui consiste à faire appel à toutes les parties prenantes afin d’aboutir à un compromis. Cette démarche doit permettre de :

  • Réaliser un diagnostic des ressources disponibles et des besoins actuels et futurs des divers usages.
  • Mettre en œuvre des actions d’économie d’eau pour tous les usages.
  • Accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre de la transition agroécologique.
  • Conduire les collectivités locales à désartificialiser les sols pour augmenter l’infiltration des eaux pluviales, et à considérer plus largement les solutions fondées sur la nature.
  • Assurer un partage équitable et durable de la ressource en servant en priorité les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population.
  • Mobiliser la ressource en période de hautes eaux, notamment par des ouvrages de stockage ou de transfert, quand c'est utile et durable.
  • En matière de financement, le Gouvernement assure que les projets pourront mobiliser plusieurs sources de financement : « les usagers, les collectivités territoriales, les financeurs privés, les fonds européens, les Agences de l'eau ».

Pour les projets exclusivement dédiés à l’irrigation agricole, la part finançable par les agences de l’eau sera la partie de l’ouvrage correspondant au volume de substitution. Les agences de l’eau pourront éventuellement financer au-delà de la seule substitution les ouvrages multi-usages dans les conditions fixées par les PTGE, selon des priorités des comités de bassins dans lesquels les différents usagers sont représentés.

 

C’est une avancée, mais cette méthode par territoire reste accueillie avec scepticisme pas les agriculteurs, qui regrettent un manque de coordination au-delà du local, qui aboutit à des situations manquant de cohérence. « Pour un même territoire, le marais poitevin, nous avons réussi à construire des réserves en Vendée, mais pas dans les Deux Sèvres » justifie ainsi Joël Limouzin, Président de la FNSEA, qui demande « une vraie impulsion au niveau national sur la question ».