Irrigation de la vigne en Europe : le point sur la législation

Dans le domaine de la viticulture, le ter­me irrigation a une connotation néga­tive et on l’associe souvent, dans la vieille Europe, aux rendements élevés, donc à des vins peu qualitatifs. L’irri­gation a longtemps été considérée comme l’apa­nage de la viticulture du Nouveau Monde, mais le réchauffement climatique est en train de rebattre les cartes.

En France, les épisodes de sécheresse de 2003, 2005 et 2006 ont fortement pénalisé la filière viticole dans le sud du pays. Depuis treize  ans, les viticulteurs de ces régions sont confrontés à une augmen­tation péna­lisante de la contrainte hydrique sur certai­nes de leur parcelle. Or, un stress hydrique fort peut altérer les composantes du ren­dement, bloquer la maturation et provo­quer des pertes de récolte par déshydra­tation des baies. Ces difficultés ont ramené le nombre d’hectares de vignes cultivés dans le pays à 788 000 ha, soit 11 % de moins qu’en 2000, recul particulièrement sensible dans la vallée du Rhône et en Provence, surtout en Languedoc-Roussillon.

Suite à ces évènements, les pouvoirs publics ont décidé de faire évoluer la législation qui interdisait l’irrigation des vignes AOC. L’irrigation des vignes AOC reste interdite, mais un décret paru au journal officiel du 6 décembre 2006 précise le cadre juridique dans lequel pourront s’inscrire des dérogations à ce principe général :

• l’irrigation reste interdite pour tous les vins entre le 15 août (ou la véraison) et la récolte.

• Dans le cas de production de vin de pays et de table, l’irrigation est possible après la récolte et jusqu’au 15 août ou la véraison.

• Pour les AOC, l’irrigation est autorisée après la récolte et jusqu’au 1er mai. Cependant, l’interdiction peut être levée entre le 15 juin (ou la floraison) et le 15 août (ou la véraison). Pour cela, le syndicat de défense de l’appellation d’origine concernée effectue une de­mande de possibilité d’irrigation préci­sant la durée souhaitée de celle-ci auprès du directeur de l’Institut national des ap­pel­lations d’origine (INAO). Cette deman­de devra ainsi s’appuyer sur des réfé­rences techniques établies à partir d’un réseau de parcelles représentatives du terroir et démontrant l’existence d’un déficit hydrique. Une déclaration d’irriga­tion auprès de l’Inao devra obligatoire­ment être faite en précisant les parcelles irriguées, les dates d’irrigation, le système utilisé. Des contrôles pourront être faits afin de vérifier notamment que la charge de production n’est pas excessive et qu’en aucun cas, elle ne dépasse le rendement de base.

Depuis quelque temps, l’irrigation est devenue le grand chantier politique et syndical dans le Sud de la France. Le message est clair : assurer la rentabilité et donc la pérennité du vignoble ne se fera pas sans l’eau. Aujourd’hui, le Languedoc-Roussillon est la principale région irriguée en France avec 23 000 hectares de vigne qui bénéficient d’un apport d’eau, soit 10 % du vignoble de cette région. Cette surface est en augmentation sous l’effet de séche­resses successives sévères auxquelles se confrontent les vignerons. Et tout l’enjeu actuel est de pouvoir bénéficier du projet de la région Aqua Domitia, qui vise à amener l’eau du Rhône jusqu’aux portes de Béziers et de Narbonne. Les viticulteurs cherchent à se mobiliser pour mettre en œuvre des projets de construction de réseaux secondaires afin de bénéficier de cette nouvelle ressource en eau. Ce  projet, porté par la région Languedoc-Roussillon dans le cadre du Service Public Régional de l'Eau, consiste à apporter une deuxième ressource en eau pour les territoires et à assurer une sécurité pour les générations futures. Il vise à compléter le Réseau Hydraulique Régional en maillant les réseaux alimentés par le Rhône avec ceux alimentés par l’Orb, l’Hérault ou l’Aude. Le projet est déjà bien avancé puisque 3  grands périmètres ont déjà été mis en eau en 2015 et 2016 : le périmètre du Biterrois, 1 500 ha, du Nord Gardiole, 500 ha en 2015 et le périmètre irrigué du Nord Sommiérois, 500 ha mis en eau en ce début d'été 2016.

 

En Italie, une règlementation beaucoup plus souple qu’en France

Premier producteur de vin au monde au coude à coude avec la France (44,4 millions d’hl produits en 2014), l’Italie viticole se caractérise par une multiplicité de cépages autonomes. Pour certains, cette diversité traduit la richesse et le caractère authen­tique de la viticulture italienne. Pour d’au­tres, elle apparaît comme un frein à l’émergence d’un vignoble de qualité homogène.

Aujourd’hui encore, 60 % de la production de vins italiens provient d’exploitations agri­coles non spécialisées, surtout en Sicile.

La taille moyenne d’une exploitation italien­ne est d’1 hectare, en France de 7 hectares et en Australie de 20 hectares. Mais on peut trouver des domaines en Toscane de plus de 20 hectares et de minuscules exploitations de moins de 1 hectare en Sicile.

Il existe 20 régions productrices de vin en Italie, les principales étant les régions les plus méridionales comme la Sicile et les Pouilles qui totalisent à elles deux plus de 25 % de la production nationale et repré­sen­tent 30 % du vignoble. Les régions plus qualitatives sont le nord du pays et le centre : le Piémont, la Toscane et la Vénitie, qui produisent à elles seules 50 % des DOC.

Les appellations d’origine contrôlée en Italie sont les DOC (Denominazione di Origine Controllata) et les DOCG (Denominazione di Origine Controllata e Garantia) ; Les IGC (Indicazioni Geografiche Tipiche), consti­tuent  le niveau intermédiaire entre vins de table et DOC. Ce sont souvent des vins d’une certaine qualité mais qui ne respectent pas entière­ment le cahier des charges d’un DOC. Enfin, en bas de l’échelle, on a les VDN (vins doux naturels) et les Vini da Tavola, les vins de table.

Suite à une série de millésimes particuliè­rement chauds et secs comme l’année 2012 qui est décrit par beaucoup comme un « an­nus horribilis » et que l’on compare au millé­sime 2003, l’année de la canicule en Europe, un décret législatif, paru le 19 avril 2013, a autorisé l’irrigation des vignes (là où elle n’était pas spécifiquement interdite par la régle­mentation locale) dans les cas de séche­resses et de chaleur intenses dans les régions classi­fiées DOC, DOCG et IGT qui couvrent toutes les principales régions viticoles d’Italie.

Aujourd’hui, pas moins de 26 % du vigno­ble de cuve italien est irrigué, 85 % dans le Trentin, 50 % en Vénitie, 72 % dans le Frioul, 34 % en Emilie Romagne, 43 % dans les Pouilles et 25 % en Sicile. L’irrigation est autorisée dans 30 AOC.

 

Le changement climatique est en train de transformer la péninsule ibérique en zone semi-désertique

Le plus grand vignoble du monde n’a jamais été le vignoble français, en nombre d’hectares, mais le vignoble espagnol : 1 021 millions d’hectares en 2016, soit environ 25 % de plus que les vignobles français ou italien.

Mais les rendements du vignoble espagnol ont  longtemps été extrêmement faibles : 22 hl/ha sur la moyenne (jusqu’en 1996), contre 60 hl/ha en moyenne en France. Ces faibles rendements sont la conséquence d’une contrainte hydrique limitante asso­ciée à un manque de disponibilité en eau. En effet, dans la plupart des zones viticoles dans le nord ou dans le sud du pays,

à l’exception des vignobles de Galice,

du Pays Basque ou de Catalogne, les précipi­tations annuelles dépassent rare­ment 450 mm. Le changement climatique est progressivement en train de transformer la péninsule ibérique en zone semi-désertique.

La vigne aime le soleil, tous les vignerons le savent. Mais trop de chaleur nuit à un bon mûrissement du raisin. La canicule gorge rapidement les grappes de sucre, tandis que les composants phénoliques qui donnent au vin ses arômes, sa consistance et sa couleur mûrissent plus lentement.

Ainsi les viticulteurs espagnols doivent choisir entre récolter tôt et produire un vin avec les bons degrés d’alcool, mais encore « vert » ou vendanger plus tard des raisins gorgés de sucre qui font de bons vins, mais très alcoolisés. Les domaines viticoles choisissent d’attendre… si bien que les vins produits aujourd’hui font 14, 15, voir 16 degrés d’alcool contre 12 degrés avant.

Le gouvernement a par conséquent décidé de modifier  la réglementation en matière d’irrigation de la vigne en Espagne ; depuis 1996, l’irrigation de la vigne est systéma­tiquement autorisée (comme l’Europe en laisse toute latitude aux États-membres). En vingt ans, elle a beaucoup progressé puisqu’aujourd’hui, 29 % du vignoble espagnol est  irrigué. Le rendement moyen est passé de 23 hl/hectare à 36 hl/hectare.

Compte-tenu de la faible ressource en eau du pays, le goutte-à-goutte est le système utilisé préférentiellement  et représente 86 % des surfaces viticoles irriguées. L’eau d’irrigation provient en général de forages réalisés à des profondeurs variables. Par exemple, sous le très aride vignoble de la Mancha, l’eau se trouve souvent à 100 mè­tres. C’est profond, mais pas inaccessi­ble… Cependant, le coût du carburant rend le pompage et donc l’irrigation très oné­reuse. L’irrigation est régulée par des droits et les systèmes sont équipés de comp­teurs. Dans la Mancha par exemple, le raisonnement des apports, réalisés en fonc­tion de la météo et de l’état physiolo­gique de la vigne, paraît tout à fait empirique.

Autre piste envisagée par les autorités espa­gnoles : l’altitude. Dans les zones éle­vées, la vigne souffre moins de la chaleur. Les nuits sont plus fraîches, ce qui permet un mûrissement plus harmonieux des fruits. Historiquement, la vigne a toujours été plantée sur des coteaux. Dans les an­nées 80, il y a eu des erreurs et on a planté n’importe où, comme c’est le cas notam­ment dans les plaines de la Mancha.

 

L’irrigation de la vigne n’est pas synony­me de haute production et de basse qua­lité. Un système d’irrigation bien conçu a un impact direct sur l’état physiologique de la vigne, en améliorant l’équilibre de la plante, en réduisant le stress hydrique et en augmentant la régularité de la pro­duction. Cependant, concer­nant les préoc­cupations liées au change­ment climatique, d’autres moyens com­plé­mentai­res doi­vent être envisagés pour préserver ou accroître la compétiti­vité de la filière ; des travaux sont actuel­lement engagés pour évaluer les possi­bilités d’adaptation du vignoble au changement climatique en modifiant les pratiques culturales, l’encé­pagement ou la situa­tion des parcelles.